L'importance de ton regard
Le titre de ce post ne renvoie pas seulement au nom du recueil de nouvelles de Lionel Davoust qui m’a accompagné durant la journée qui a mené à la naissance de Cyann (eh oui, nous avons patienté longuement avant que le col de Sayyadina soit totalement dilaté, elle surtout bien sûr). Cela ne m’empêche pas d’inciter toutes les lectrices et tous les lecteurs de ce blog à acheter ce livre, le commander, obliger votre libraire préféré à l’avoir dans ses rayons, le lire et l’abandonner en cadeau sur un banc public, etc...
L’importance de ton regard, c’est le tien, Sayyadina, celui que tu as eu lorsque Cyann a atterri sur ton ventre. De l’expression de l’indicible souffrance qui brûlait tes yeux devenus égarés (c’est super, la péridurale, sauf quand elle cesse d’agir juste quand le col est totalement effacé et qu’elle n’aide plus lors de la phase cruciale du travail...), ce regard s’est transformé en un éclair de surprise émerveillée, de bonheur total, quand tu t’es tournée vers moi en disant « Qu’est-ce qu’elle est jolie ! »
L’importance de ton regard, c’est le tien, Cyann, alors que tu m’avais été confiée par la pédiatre dans une salle à côté de celle où l’accouchement a eu lieu, pendant que se terminaient les soins de ta maman. Le vernix caseosa qui restait sur tes yeux t’empêchait au début d’ouvrir les deux, te faisant ressembler à Popeye. Mais quand tu as pu décoller l’œil gauche, j’ai eu le privilège de recevoir en plein cœur ton premier regard, empli d’une profondeur prudente et mystérieuse, de l’intensité du petit animal prêt à découvrir, à se livrer si on montre sa sincérité, à apprivoiser et à se laisser apprivoiser tout en gardant intacte son intégrité.
Un regard semblable à celui de ta maman qui m’a rendu, il y a plus de cinq ans maintenant, amoureux d’elle pour toujours.
Et mon regard sur Sayyadina est encore plus empli d’amour et d’admiration, devant la façon dont elle a enduré sans fléchir la longue torture de la cholestase gravidique et su garder encore assez de force et d’élan de vie pour amener Cyann à bon port, malgré le marathon de douleur qu’a été l’accouchement.
Ce regard concerne aussi toutes les femmes, croisées dans les couloirs de la maternité que nous avons souvent fréquentés durant les mois précédant la naissance, ces femmes qui ont partagé avec Sayyadina leurs histoires, dévoilant, devant l’auditeur incongru et presque gêné que j’étais, ces continents intimes et tus de leurs efforts douloureux, de leurs craintes, des embûches et des échecs qui parfois encombrent le chemin qui aboutit à la proclamation tonitruante de l’homme : « Ça y est, je suis papa ! »
Je ne minimiserai pas de le rôle du père, durant la grossesse, l’accouchement et tout ce qui suit, mais comme me disait le chauffeur de taxi qui m’a ramené at home le lendemain soir de l’accouchement : « Je me rappelle très précisément de l’accouchement de mes trois enfants. Ça nous apprend l’humilité, à nous les hommes... »
Le regard des praticiens de la santé revêt de même toute son importance, lorsque ceux-ci ne se cantonnent pas à accomplir le suivi et les gestes médicaux nécessaires à l’accompagnement de la grossesse ou la naissance, mais dépassent leur rôle pour investir leur intelligence, leur compétence et leur empathie pour devenir des complices de notre parcours. Nous avons déjà parlé ici du grand Lulu, sont venus le rejoindre celles et ceux que je ne citerai que par leur prénom, car même si c’est pour les remercier on ne peut révéler les noms ni le lieu d’exercice de professionnels de santé sur un blog : Christine, Carine, Magali, Yannick, Laura, Colleen, David, Sylvie, Marlène, Margot, Sophie.
A la toute fin de L’importance de ton regard de Lionel Davoust, une étoile s’éteint dans le ciel parce que plus personne n’est là pour l’observer. Pour être père, mon regard d’amour sur mes deux merveilles ne s’éteindra en aucun instant, nourri des flammes allumées durant ces 36 semaines de voyage fondateur.